Et Lui, et notre histoire

Il est présent, depuis plusieurs années (l’autre dirait depuis les temps immémoriaux) Et il n’aurait pas tort. Avant même d’aller à l’école, maman, me parlait assez régulièrement de lui.

Maman me disait, qu’il est arrivé par la mer, comme explorateur. Semble-t-il, même si mon pays, lui est enclavé. Sans aucune ouverture directe sur un océan. Expliquent-ils.

Explorateurs ? Il s’est très vite s’investit en Maitre. Ainsi s’ouvrait pour mes ancêtres une vie nouvelle. Une histoire triste. Puisque de leur vie, de leur vigueur, de leur sang, l’Explorateur allait désormais construire son « Pays », son pays qui se trouve à l’autre bout, de l’autre côté des océans.

Alors comme Maitre, l’explorateur a reparti les tâches. Lui était le « Maitre », le « Civilisateur », « l’Evangélisateur » et Mon peuple était l’esclave, juste l’esclave. L’esclave qui a construit les ponts. Pour le passage du maitre, et pour le passage du « bien » pris à l’esclave. L’esclave qui de son sang a construit le chemin de fer qui arrive à la mer. Le chemin de fer, qui transportera le maitre, le chemin de fer qui prendra à l’esclave tout ce qu’il a : son blé, son mil, son maïs, son bétail pour nourrir le Maitre et les siens. Le chemin de fer qui a enlevé à Maman, son mari, son époux, ses vigoureux fils pour aller à la guerre, pour aller protéger le territoire du maitre, pour aller protéger le maitre et les siens de la barbarie de l’autre Maitre qui était alors devenu « Maitre des Maitres »

Il était déjà là, et toujours présent. Il a juste souvent tenté de changer de nom, mais c’est toujours lui. Il a même souvent eu l’appellation « C-o-l-o-n-i-s-a-t-e-u-r », disent-ils- passé d’explorateur a colonisateur, il devenait « Propriétaire absolu » de moi et de mon peuple. Seul lui décidait. Lui avait droit de mort et de vie sur chacun de mes frères, sur chacune de mes sœurs. Lui était possesseur de moi et de mon peuple.

Et un jour, a l’aube…certains de mes frères, dans cette longue et dure marche, demanda la liberté, « Notre vivre-libre ».

Ce jour-là, mes frères demandait la liberté, ils voulaient que leur chemin se sépare de celui du Maitre. Ils voulaient faire le chemin seuls. Alors ils souhaitaient que le Maitre reprenne le chemin de fer seul, qu’il retrouve la mer seul, qu’il rejoigne les siens.

Sans ressentiment, sans amertumes, mon peuple a senti un nouveau souffle, le souffle de la liberté : Indépendance. Le jour nouveau, le jour où ma mère pense librement retrouver son jardin potager, le jour où papa croyait retrouver son champ, le jour où mon cousin retrouvait son bétail. C’est le jour où mon peuple pensait désormais que le chemin de fer ne porterait plus sa nourriture hors de ses murs. Que son grenier et son bétail serviront désormais à nourrir les siens.  

Fort malheureusement le jour où Il devrait quitter notre terre, je n’avais plus un frère. Mes plusieurs : Mon frère-ainé, fidèle, complice et copie conforme du Maitre, mon frère qui deviendrait le tyran de mon peuple et l’autre frère, celui qui nous disait : Voici venue notre heure, l’heure de la liberté de mon peuple.

Hélas ! Confusion, trahison…

Mon frère, la copie conforme du maitre et le Maitre ont dans la « combine » maté mon peuple, ils ont pris ensemble le plaisir d’affamer mon peuple, de nous maintenir dans la faim. Car, qui est affamé, ne peut penser. Il subit, obéit, exécute, ne choisit pas. Il ne peut se donner le luxe de réclamer, sinon le pain manquant, il meurt abandonné et oublié de tous.

Mon frère, le Tyran, le Dictateur, l’opportuniste, lui a bêtement maté mon peuple, il a pris le champ du paysan et vidé son grenier, il a réquisitionné le bétail du berger pour des somptueuses festivités. Il a affamé mon peuple, il tué mon peuple.

Mon autre frère, qui disait « L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. »[i]

Lui, ce frère a été molesté, tué, dans la complicité et pire encore dans l’indifférence. Aujourd’hui encore sevit dans la tourmente, dans la confusion, l’épée de Damoclès plane sur sa tête. Il est tantôt en fuite, tantôt prisonnier, tantôt provisoirement libre, sans droit de parole.

Et lui est là,

Omniprésent,

Il se dissimile,

Prend de multiples noms : L’Expert, le Coopérant, l’Humanitaire et pour couronner le tout : Communauté internationale !

Et pendant ce temps, moi et mon peuple nous souffrons et vacillons, tourmentés : Guerres, massacres, exile, pauvreté, misères, la faim…

Je marcherai, aussi longue et pénible sois la marche, nous marcherons pour nos filles, pour nos fils. Nous marcherons pour que le chemin, le vrai chemin ne se perde jamais, pour que les traces laissées les servent et les éclairent. Nous marcherons, notre non-liberté deviendra liberté, libération pour eux…

Alors, Fils, si dans cette marche je reste, si dans cette marche l’obscurité l’emporte sur ma pensée, si l’absurde nous engloutit, alors je souhaite que cette marche battisse la véritable liberté pour tes compagnons de marche et pour toi…

                                                                                                      Joseph


[i] https://kaizen.sn/blog/thomas-sankara-20-citations-inspirantes